Externalités positives de l’agriculture

La vocation première de l’agriculture est la production alimentaire. Mais l’activité agricole offre également des services non marchands d’intérêt collectif, qui sont intrinsèquement liés à l’acte de production, et que l’on désigne généralement sous le terme d’ «externalités positives de l’agriculture». A contrario, les pratiques agricoles peuvent produire des effets qui pénalisent l’intérêt collectif et que l’on désigne comme des «externalités négatives».

 Qu’entend-on par le terme « externalité » ?

Il y a externalité lorsque l’activité de production d’un agent économique a une influence non marchande (positive ou négative) sur le bien-être d’un autre sans qu’aucun des deux ne reçoive ou ne paye une compensation pour cet effet. Il s’agit donc d’un effet non associé à une contrepartie monétaire, et donc « extérieur » à l’économie de marché.

Dans le cas de l’agriculture, on peut notamment citer comme externalités positives environnementales :

  • Le stockage du carbone dans les sols agricoles, notamment dans le cadre de prairies semi-naturelles ou de pratiques agroforestières ;
  • La réduction de la vulnérabilité aux aléas naturels (incendies, inondations, submersion marine) ;
  • La contribution à la conservation d’écosystèmes rares et de la biodiversité qui y est associée ;
  • La régulation des populations de ravageurs.

On peut également identifier d’autres formes d’externalités positives liées à des valeurs culturelles ou esthétiques, comme par exemple la création et l’entretien de paysages à valeur patrimoniale (bocage, zones pastorales de montagne…).

Un certain nombre de travaux vise à estimer ces externalités positives et leur attribuer une valeur monétaire. Cela peut se traduire alors par une rémunération supplémentaire versée à l’agriculteur directement par l’Etat, les collectivités locales ou territoriales : c’est ce que l’on nomme les paiements pour services environnementaux (PSE). La mise en œuvre de ce type de paiements, dont les mesures agro-environnementales et climatiques peuvent être considérées comme le précurseur, démarre tout juste en France (via les Agences de l’eau notamment).

Les externalités négatives peuvent pénaliser certaines catégories d’agents économiques ou le bien-être général, et pèsent sur les contribuables (coûts des pollutions, du traitement de l’eau, des effets sur la santé…).

On peut citer, pour l’agriculture :

  • La pollution de l’air, de l’eau, induite par l’utilisation de produits phytosanitaires ou d’engrais de synthèse ;
  • L’érosion des sols, lié au travail mécanique répété et profond des sols agricoles, et à l’absence de couvert végétal ;
  • La diminution de la biodiversité entraînée par l’homogénéisation des cultures et pratiques agricoles ;
  • Les émissions de gaz à effet de serre liées à l’utilisation d’engins à moteur thermique ou à la fabrication d’intrants chimiques ;
  • La consommation de ressources non renouvelables (pétrole, phosphates…).

Certains travaux ont pour objectif d’évaluer le coût pour la société des externalités négatives, afin de pouvoir l’intégrer dans le calcul du coût total d’un produit. Ce rapport, commandé par l’ADEME, présente ainsi la façon dont le coût des externalités environnementales des produits alimentaires peut permettre de sélectionner des produits issus d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement dans le cadre des marchés publics en restauration collective.

Comment évalue-t-on une externalité ?

Le niveau de l’externalité dépend de ce qui est considéré comme « l’état normal » (d’un milieu, par exemple) en dessous duquel il y aurait dégradation au détriment de la société, et au-dessus duquel il y aurait bénéfice pour la société. Si la « science » fournit des éléments d’appréciation de ce que sont les « états souhaitables » dans le sens de la durabilité, la fixation de normes résulte toujours d’une construction sociale.

Concernant l’agriculture, les externalités sont donc très généralement évaluées en référence à ces normes, c’est à dire aux états créés par les pratiques de l’agriculture dite « conventionnelle ». Elles sont donc relatives, et peuvent évoluer.

On considère de façon générale qu’un surcroît d’externalités positives, ainsi qu’un amoindrissement des externalités négatives, représentent un bénéfice pour la collectivité.

Il a par exemple été montré que l’agriculture biologique était moins génératrice d’externalités négatives que l’agriculture conventionnelle, et qu’elle générait davantage d’externalités positives, bien que les niveaux en soient difficiles à quantifier (ITAB, 2016 : Voir le rapport complet ).

Concrètement sur les îles, ça veut dire quoi ?

La vocation première de l’agriculture est la production alimentaire. Aujourd’hui, sur les îles, la production existante est globalement très en deçà des quantités nécessaires à l’alimentation ne serait-ce que pour la population permanente. Sur les îles où un diagnostic de l’alimentation locale a été réalisé, on estime que seuls 3 à 5 % des besoins alimentaires sont couverts par la production locale.

Dans ce contexte, les activités agricoles insulaires ne peuvent assurer complètement leur fonction nourricière de proximité. Le RAIA souhaite donc encourager le maintien et le développement de l’agriculture dans les îles.

Mais les îles sont des territoires fragiles en termes de ressources : ressources en eau limitées, risques érosifs accrus par la proximité du milieu marin, écosystèmes spécifiques pouvant abriter des espèces endémiques… L’agriculture insulaire doit donc être en mesure de fournir les externalités positives détaillées ci-après, et de limiter voire supprimer les externalités négatives qui lui sont liées (pollutions, érosion des sols …).

Pour donner une réalité à ce projet proposé d’agriculture durable, le RAIA porte aujourd’hui un projet de recherche intitulé SOFIANE : SOutenir et Faciliter dans les Iles de la façade Atlantique une agriculture Nourricière et à Externalités positives.

Externalités positives concernant l’environnement 

– Participer, par le biais de différentes pratiques, au maintien et au développement de la biodiversité des espaces agricoles : pastoralisme, agro-foresterie, agriculture biologique, enherbement des parcelles en arboriculture et viticulture, permaculture, maintien dans les parcelles d’éléments semi-naturels type haies et mares, rotations des cultures, mise en jachère…

Couvert végétal sous un verger en fond de vallon – Belle-Île-en-Mer

Le cas du pastoralisme est particulièrement important pour les îles (exemple détaillé de l’élevage ovin plus bas), car il permet de conserver des prairies et des zones humides associés à des espèces végétales spécifiques. Le pâturage des animaux, en empêchant l’enfrichement des parcelles, empêche l’homogénéisation des écosystèmes présents et contribue au maintien d’espèces floristiques variées. (Agriculture, biodiversité et continuité écologique : contributions et enjeux communs)

Vaches limousines au pâturage – Belle-île-en-Mer

– Participer au maintien de la biodiversité cultivée, par le biais de l’utilisation de semences anciennes, la culture de variétés variées, et l’élevage de races d’animaux à petit effectif, qui contribue au maintien d’une diversité génétique. Travailler au développement de cette biodiversité implique la mise en œuvre d’expérimentations, qui permettent de faire avancer les connaissances générales.

– Réduire la vulnérabilité aux aléas naturels : incendies (diminution du risque par l’ouverture du paysage et contribution à la lutte contre l’incendie par l’entretien de mares et d’étang pouvant fournir une réserve en eau), inondations (réduction du risque de ruissellement fort par la présence de haies, de couvert végétal), submersion marine dans le cas des marais salants.

-Accroître le stockage de carbone dans les sols, dans un double objectif de restauration de la fertilité et de réduction du CO2 présent dans l’atmosphère et contribuant à l’augmentation de l’effet de serre planétaire. Cet accroissement de la quantité de Co2 stocké dans le sol est lié à la mise en œuvre de pratiques agricoles spécifiques : agroforesterie, restauration des éléments semi-naturels liés à l’agriculture (haies, bosquets, mares, cours d’eau) ou encore prairies permanentes.

(Plus d’informations à ce sujet sur le site de l’initiative 4 pour 1000).

Prairie permanente de fauche – Belle-Île-en-Mer – Les prairies permanentes sont considérées comme des « puits » de carbone.

– Préserver la fertilité des sols à long terme : la fertilité des sols est un « capital » de départ dont dépend fortement la productivité des parcelles agricoles. Cette fertilité repose sur une multitude de paramètres physiques, chimiques et biologiques. Afin de la préserver, ou de l’améliorer, il est nécessaire de mettre en place des pratiques adaptées comme les couverts permanents, l’apport régulier de matière organique, la réduction du travail du sol et de l’utilisation de produits phytosanitaires.

– Entretenir les réseaux hydrologiques : l’enfrichement de zones auparavant cultivées ou pâturées entraîne la rétention de l’eau par les végétaux ligneux, par exemple dans le cas de boisements en fond de vallons auparavant utilisés pour le pâturage. Cette eau n’est alors plus disponible pour le captage et utilisable pour les besoins de la population.

Par ailleurs, l’absence de gestion du réseau hydrologique entraîne souvent dans les îles une hydromorphie des sols, qui se traduit par une asphyxie de la vie du sol défavorable à la biodiversité et à la productivité de la parcelle.

On considère que dans le cadre de la mise en œuvre d’une agriculture capable de fournir ces services, les agriculteurs participent à l’entretien des biens commun que sont les sols, l’air, l’eau, la biodiversité.

Externalités positives concernant le tissu économique du territoire et la vie locale 

L’ouverture des paysages est un service particulièrement important, que l’agriculture fournit gratuitement. En effet, une grande partie de la beauté des sites insulaires repose sur leur paysage présentant des ouvertures sur la mer depuis les espaces centraux ou les sentiers de randonnée. C’est une contribution majeure à l’attractivité touristique sur laquelle est bâti en grande partie le développement économique insulaire.

Paysage ouvert sur la mer depuis l’intérieur de l’île – Belle-île -en-Mer

– Revitaliser le commerce de proximité en proposant des produits alimentaires de qualité sous forme brute ou transformée (produits laitiers, pain, viande…). Il peut s’agir d’une contribution à des circuits de commercialisation déjà existants (partenariats avec des supérettes locales) ou la création de nouveaux dispositifs (magasins de producteurs, AMAP, vente à la ferme ou par drive…).

– Favoriser l’emploi pérenne sur les îles : limiter le recours à la mécanisation, aux intrants, implique le recourir à davantage de main d’œuvre. (Impact de la transition agricole et alimentaire sur l’emploi : Etat des lieux, 2018)

L’augmentation du poids du secteur agricole dans le total des emplois sur un territoire insulaire permet de limiter la dépendance de celui-ci au secteur touristique et aux emplois de services qui y sont liés, dont les fluctuations ne sont guère compatibles avec la création d’emplois pérennes à l’année.

Par ailleurs, le développement économique uniquement axé sur le tourisme se base sur le fait d’attirer toujours plus de visiteurs, ce qui est incohérent avec la nécessité de protéger les espaces insulaires remarquables et rend extrêmement complexe le développement d’infrastructures de service public, qui doivent s’adapter à des fluctuations de charge très importantes.

Le développement d’un secteur dont l’activité est régulière sur l’année favorise l’installation pérenne de nouveaux habitants et contribue ainsi au maintien de services publics (écoles, hôpitaux…).

L’agriculture est également un secteur qui permet de travailler à l’insertion sociale des personnes en difficulté, éloignées de l’emploi (Jardins de cocagne).

– Tenir compte et s’adapter aux spécificités géographiques, géologiques, climatiques du territoire dans le développement des activités agricoles. Par exemple, la faible épaisseur de sol sur certaines îles doit inciter à l’élevage d’animaux légers, dont le piétinement ne risque pas d’endommager les sols et d’en accélérer l’érosion ou le tassement. Cette adaptation de l’agriculture à son territoire implique de connaître finement les spécificités locales et de sauvegarder (en les utilisant) des savoir-faire liés à ces spécificités : gestion hydrologique (drainage par exemple), pratiques de pâturage, aménagement bocager…. Cela donne une réalité à l’identité agricole des îles, susceptible de participer à la promotion et au rayonnement de celles-ci.

Elevage de vaches bretonnes pie noire (il s’agit d’une race rustique, adaptée au climat des îles, et de la plus petite race bovine française) – Exploitation agricole des « P’tites Beurtounes » à Yeu – Photo : Cristi Cohen

Cela contribue également au dynamisme de la vie locale rurale : à l’île d’Ouessant, par exemple, l’élevage ovin même non professionnel est support de lien social, de moments conviviaux et traditionnels.

– Rebâtir un socle de connaissances en matière d’agriculture pour les résidents insulaires (ou pour les visiteurs dans une moindre mesure), par différents moyens pédagogiques : visites de fermes, travaux participatifs, moments conviviaux type Foire agricole ou Comice, intégration valorisée de produits locaux dans la restauration collective …

Visite de ferme et démonstration de pressage de pommes – Belle-Île-en-Mer

Cette agriculture à externalités positives est donc une agriculture respectueuse de l’environnement, qui rémunère correctement les agriculteurs qui la pratiquent, et ancrée dans le territoire sur lequel elle s’inscrit.

L’élevage ovin extensif sur les îles : un exemple d’une agriculture à externalités positives

L’élevage ovin extensif est une activité que l’on retrouve sur différentes îles de la façade atlantique :  Ouessant, Groix, Belle-Ile-en-Mer, Hoëdic, Noirmoutier, Yeu, Oléron.

Elle est particulièrement représentative du lien fort qui peut exister entre agriculture, biodiversité et paysages.

Cet élevage se caractérise par une faible charge pastorale (peu d’animaux par hectare) et des pratiques agricoles spécifiques, notamment l’absence de fertilisation azotée, la fauche estivale des prairies, et une complémentation alimentaire pour les animaux essentiellement limitée à du fourrage en cas de sécheresse et du sel. 

Elevage ovin – Île d’Yeu – Photo : Cristi Cohen

Ces pratiques se traduisent par la présence sur les parcelles de prairies d’une multitude d’espèces végétales : jusqu’à 40 espèces recensées sur une parcelle (Etude des prairies de Belle-Ile-en-Mer, Masson, 2016). Les prairies ainsi constituées forment des habitats spécifiques et certaines sont protégées au niveau européen pour leur haute valeur en tant que patrimoine naturel (prairies de fauche mésophiles, prairies humides).

Détail d’une prairie de fauche mésophile – Belle-île-en-Mer

L’élevage a également façonné sur les îles un paysage ouvert, permettant d’apercevoir l’océan en de nombreux endroits et contribuant ainsi à la beauté des sites insulaires.

L’arrêt du pâturage des parcelles se traduit rapidement par l’évolution des prairies vers l’état de friche, puis de forêt. Sur l’île d’Yeu, le phénomène a ainsi été observé avec l’installation progressive de forêts de chênes verts. La parcelle devient alors « improductive » pour l’alimentation humaine, inaccessible pour les activités récréatives (randonnées, observations), et sa richesse en termes de biodiversité décroît.

Afin d’éviter cette situation, préjudiciable à divers niveaux, se pose alors la question de l’entretien de ces parcelles. Le coût estimé pour le maintien ouvert de ces espaces, en faisant intervenir des entreprises spécialisées, est estimé à 0.25 € HT/m², soit 2500 €/ha. Ainsi pour une surface de 100 ha, soit l’équivalent de la surface « entretenue » par une exploitation agricole en élevage ovin, on obtient un coût de défrichage égal à 250.000 € !

Ce cas permet d’illustrer les différents services qui peuvent être rendus par une activité agricole adaptée à son territoire.